Songül Akdag est là depuis le début, lorsque l’idée de parer de mosaïques le mobilier urbain du quartier Renaudie a germé. C’était en 2015. Anjum Polet, elle, a rejoint le projet artistique il y a deux ans. Zoom sur ces deux femmes qui donnent de leur temps et offrent leur créativité à cet ensemble architectural atypique.

Songül et Anjum

Elle l’aime son quartier. Songül Akdag, d’origine turque, a passé l’essentiel de ses 39 années au milieu des étoiles de Renaudie. Oui, des étoiles ! Car vu du ciel, l’ensemble urbain Renaudie(1) s’étale de part et d’autre des grandes arcades de l’avenue du 8 Mai 1945 tout en formant des étoiles. « J’y suis pratiquement née. Mon père avait acheté sur plan, nous faisions donc partie des premières familles à avoir emménagé en 1984 », dit-elle avec une certaine fierté. Si elle est partie un temps, « pour travailler dans l’audiovisuel », elle y est toujours revenue. Comme ses souvenirs qui s’invitent en nombre au fil de la discussion. Les jeux inventés avec ses quatre frères et sœurs, les petites pentes et les coursives transformées en terrains de jeux le temps d’une partie, le parc où tous les enfants se retrouvaient pour s’amuser… Et son ancienne institutrice, Jeanine, qu’elle croise encore dans la rue et à Mosaïkafé(2). « Mais je crois qu’elle ne me reconnaît pas », confie-t-elle à voix basse. Il y a aussi ce jour mémorable, à l’occasion de l’inauguration du supermarché : « Le chanteur C. Jérôme était venu en hélicoptère. On ne le connaissait pas mais ce n’était pas grave, c’était la fête et on nous offrait des cadeaux. » Yeux pétillants et sourire aux lèvres, d’une voix posée, elle continue de raconter son quartier, ses habitants et les rituels de son enfance : « il y avait une boulangerie, où ma mère nous achetait des pains au chocolat au retour de l’école ».
« Je me souviens d’une épicerie et d’une poissonnerie », rappelle à son tour Anjum Polet, une voisine lointaine qui habite du côté de l’Essartié depuis 1989. À 73 ans, cette dame à la peau hâlée et aux yeux clairs livre son histoire. Sa naissance en Inde, « ou plutôt dans le territoire pakistanais mais le pays n’existait pas encore en 1946 ». Son envie de parler le français ; « une langue très peu enseignée, on nous apprenait à lire et à écrire en anglais avant même le ourdou(3). » L’Inde était alors anglaise. Issue d’une famille nombreuse et aisée, son père était homme d’affaires. Elle apprend les premiers mots de la langue de Molière auprès de bonnes sœurs irlandaises. « J’ai d’ailleurs gardé leur accent. Beaucoup croient que je suis originaire de Polynésie ou de la Guadeloupe », dit-elle sur un ton amusé. Puis, après les Jeux Olympiques de 68, elle part étudier en France où elle rencontrera son futur mari qu’elle épousera en 1972. De son aventure estudiantine est née la “famille grenobloise”, des étudiants étrangers expatriés dans l’Hexagone avec qui elle a gardé contact. Ne pas couper les liens, ni avec ses amis d’hier, ni avec sa terre natale où elle emmène régulièrement mari et enfants. Elle tient à cette double culture, à pratiquer le Pandjabi(4) avec sa maman et ses sœurs, à faire de nouvelles rencontres… À la MJC Paul Bert(5), « j’ai fais la connaissance de nombreuses personnes. J’aimais y passer du temps pour créer et coudre mes propres vêtements. J’ai aussi découvert la poterie, je me suis initiée à la peinture sur soie… » Puis elle s’est inscrite aux Beaux-Arts car Anjum n’a jamais cessé d’apprendre. Elle tient aussi à partager ses connaissances ; c’est peut-être ce qui l’a poussée à enseigner l’anglais dans les écoles primaires tout au long de sa carrière.

Les filles des ateliers mosaïques

Ce qui rapproche Anjum et Songül ? C’est cette passion des activités manuelles. Notamment l’aquarelle et la gravure pour Anjum, le collage de tapisserie et le bricolage pour Songül. C’est finalement le projet d’art populaire à “Renaudie” qui les a réunies, au travers des ateliers de mosaïques. Patiemment, elles se sont familiarisées avec la pince, outil idéal pour découper les carrelages, ont dompté la grignoteuse pour affiner les formes, et se sont même spécialisées. « J’aime travailler avec des gros morceaux de carrelage », explique Songül. Anjum les préfère plus petits, et les ponce jusqu’à ce que leurs contours soient bien lisses. Cinq jardinières de l’avenue du 8 Mai 1945 ont ainsi été décorées de tesselles avec d’autres habitantes volontaires, dont Rosemonde et Caroline. Depuis aujourd’hui et jusqu’à la fin de la semaine, la GUSP(6) invite les habitants à les rejoindre le temps d’un atelier.
Ensuite, les filles des ateliers mosaïque aspirent à investir les boîtes aux lettres, les bancs en béton, et pourquoi pas les rampes et les numéros des montées ?… Les idées ne manquent pas, mais les petites mains, si ! « Nous aimerions former d’autres personnes à cet art pour prendre le relais », espèrent-elles. La ville leur a réservé un emplacement sur la place Etienne Grappe pour libérer leur créativité et les remercier de leur engagement pour l’art populaire et leur quartier.
Songül et Anjum nourrissent un autre souhait : que ces mosaïques invitent les gens de passage et les habitants des environs à s’aventurer parmi les étoiles de Renaudie. Pour voir « les cerisiers en fleurs, les larges terrasses végétalisées qui donnent l’impression de jardins suspendus, cette architecture atypique facilitant la communication entre voisins, cette multiculturalité qui peut être une vraie force. » Car Renaudie regorge de constellations, et pas seulement vu du ciel. SY

(1) L’ensemble architectural tient son nom de Jean Renaudie (1925 – 1981), architecte-urbaniste à l’origine de sa construction.
(2) Café culturel associatif installé sur l’avenue du 8 Mai 1945.
(3) Le ourdou est une des langues officielles du pays reconnue par la constitution.
(4) Le pendjabi est parlé en Inde et au Pakistan, dans la province du Pendjab pakistanais.
(5) Celle que les habitants appelaient la MJC Paul Bert ou Chopin est devenue la MJC Les Roseaux puis la MJC Bulles d’Hères.
(6) La GUSP, Gestion Urbaine et Sociale de Proximité, est un service municipal.

Les ateliers mosaïque sont ouverts à tous et gratuits

  • Lundi 8 et mardi 9 juillet de 15 h à 18 h
  • Mercredi 10 et jeudi 11 juillet de 10 h à 13 h
  • Vendredi 12 juillet juillet de 15 h à 18 h
    Suivi d’un apéro partagé avec le festival Rien-Être

Contact : Caroline Cialdella de l’antenne GUSP, Gestion urbaine et sociale de proximité, tél. 04 56 58 92 27, 34 avenue du 8 Mai 1945

Le quartier Renaudie

1974 : l’architecte Jean Renaudie (1925-1981) conçoit un nouveau quartier à Saint-Martin-d’Hères qui prendra son nom après sa mort.
Il comprend alors 447 logements, des bureaux, des commerces, et une école.
Son originalité réside dans ses formes triangulaires, marque de fabrique de l’architecte, et d’autres peu pratiquées dans l’architecture (angles aigus, cylindres, courbes).