Journée internationale des femmes : “Rendre visibles les femmes invisibles” à travers  la voix de l’historien Olivier Vallade

Le 8 mars, la ville de Saint-Martin-d’Hères célèbrera la Journée internationale des droits des femmes à sa façon et, surtout, en fonction des contraintes sanitaires. Via une visioconférence sur Zoom, l’auteur et historien Olivier Vallade aura à cœur de “Rendre visibles les femmes invisibles” ayant œuvré dans la Résistance et après la Libération.

De nombreuses femmes ont mis toute leur énergie et leur détermination dans le combat clandestin, mais aussi au service de leur famille et de la société française. C’est d’elles que l’historien et auteur Olivier Vallade parlera ce lundi 8 mars lors d’une visioconférence diffusée en direct sur le Facebook de la ville. Leur rôle dans la Résistance iséroise, et plus particulièrement à Saint-Martin-d’Hères, mais aussi au quotidien, face aux restrictions imposées par la guerre.
Un sujet qui résonne fortement en Olivier Vallade. L’historien, auteur, ingénieur au CNRS est aussi le petit-fils de figures emblématiques de la Résistance : Raymond et Lucie Aubrac.

Pourquoi avoir choisi de “rende visibles les femmes invisibles” ? Qui sont-elles ?

Pendant longtemps, dans les récits historiques, la femme était traitée de façon secondaire. L’idée est de la sortir de cet angle mort en partageant la réalité historique de Saint-Martin-d’Hères. Jusqu’au début des années 50, la ville n’était encore qu’une bourgade peuplée de 5 600 habitants. Elle avait un pied dans l’urbanisation, avec notamment la biscuiterie Brun et l’usine Neyret-Beylier, et l’autre dans la ruralité ; des plaines s’étendant à perte de vue sur l’actuelle avenue Gabriel Péri, le campus universitaire et le Murier.
La guerre a été un marqueur important pour toutes les Françaises. Elles avaient commencé à prendre la place des hommes dans les usines et les champs pendant la Première Guerre mais pas à Saint-Martin-d’Hères, qui n’était qu’un grand village. Avec la Seconde Guerre mondiale, sont apparues les restrictions de la vie quotidienne et la Résistance ; deux faits qui ont poussé les femmes à sortir de l’invisibilité. Cela aboutira à l’obtention de leur droit de vote en avril 1944.

Quels rôles ont eu les Martinéroises à cette époque ?

La problématique de ravitaillement pendant la guerre a mis toutes les femmes en première ligne. Ce sont elles qui faisaient la queue devant les magasins, ce sont encore elles qui transformaient les jardins en potagers…
L’une des usines phares de l’industrie agroalimentaire, la biscuiterie Brun, était dirigée par une femme : Claire Darré-Touche. C’était l’une des premières figures saillantes de Saint-Martin-d’Hères. On l’appelait “La Dame”, ou encore “La tsarine”. Encline à la collaboration, elle traitait durement ses ouvrières. Certaines d’entre elles se sont opposées, la plus connue s’appelle Marie Margaron. Responsable syndicale, elle a commencé à distribuer des tracts clandestins dans les casiers de ses collègues. Un acte de résistance qui lui faisait risquer la prison. Dès lors, les Martinéroises sont sorties de l’ombre.
D’autres femmes ont choisi de servir d’agents de liaisons. À bord d’une bicyclette, à pied, elles passaient des armes et des courriers entre les groupes de résistants, à leurs risques et périls. Il ne faut pas oublier que les maquis étaient proches de la ville, pas loin du Murier et dans le Vercors.
Il y a eu ces femmes qui se sont engagées auprès de leurs maris. Le couple Texier tenait un café, avenue Ambroise Croizat, qui est devenu un lieu de transit pour les maquisards. Des couples mais aussi des familles entières de paysans ont caché matériels et résistants au Murier. Les femmes n’étaient pas en reste.

Selon vous, l’après 1945 était une époque propice aux femmes. Elles ont occupé davantage de place et de responsabilités au sein de la société.

La guerre a été un tremplin pour les femmes. Malgré elles, et souvent de par leur volonté, elles sont sorties de l’ombre. À Saint-Martin-d’Hères comme partout ailleurs, elles sont devenues des porte-paroles. À l’image d’Elise Grappe, la première femme députée de l’Isère. Son mari, Etienne Grappe, deviendra plus tard le maire de Saint-Martin d’Hères.
Dans les années 50, 60 et jusqu’à aujourd’hui, l’histoire récente de la ville est marquée par un certain nombre de figures féminines : la résistante Denise Meunier,
Madeleine Barathieu qui a été dans les années 80/90 la première adjointe du maire Jo Blanchon, Jacqueline Doncque et Madeleine Nègre qui ont beaucoup œuvré pour le théâtre. La présence féminine dans le milieu de la culture est un fait marquant et une réalité actuelle à Saint-Martin-d’Hères.
Il n’y a qu’à observer la signalisation sur la voirie. On arrive à 9,5 % de plaques de rue portant le nom d’une femme (d’après un plan datant de 2016). Alors qu’en 2014, la moyenne nationale était de 2 % selon une association féministe (et moins de 5 % en 2019). La ville de Saint-Martin-d’Hères joue pleinement le jeu de la visibilité des femmes dans l’espace public. Tout comme la célébration du 8 mars, que la ville a depuis bien longtemps adopté. Ce n’était pas le cas en France il y a 20 ans.

Vous êtes auteur et historien, mais aussi le petit-fils de figures emblématiques de la Résistance : Raymond et Lucie Aubrac. Votre mère, Catherine Vallade, est d’ailleurs née à Londres en 1944 après que vos grands-parents aient rejoint la Grande-Bretagne. Est-ce-que cette conférence résonne de façon particulière en vous ?

Je n’ai pas fait ce métier par hasard. C’est lié à l’histoire de mes grands-parents mais si je revendique cet héritage, je ne suis pas le mieux placé pour parler d’eux. D’autres le font très bien.
C’est vrai que ma grand-mère, Lucie, était professeure d’histoire. Elle était passionnée d’archéologie, et parlait beaucoup de l’histoire de la Grèce, de Rome, de l’Égypte ancienne. Ce n’est que bien plus tard, à mon adolescence, que j’ai découvert son engagement. Ma grand-mère est l’une de ces figures emblématiques de la Résistance qui a tracé le chemin pour ses paires. Mais il n’y a pas eu qu’elle. En 2019, j’ai écris la biographie de Marguerite Gonnet*, qui a longtemps fait partie d’un monde invisible. Cette mère de neuf enfants s’est engagée dans la Résistance dès juin 1941. Elle a été, avec Marie Reynoard, l’une des rares femmes responsables départementales d’un mouvement de résistance. Elle a échappé de peu à des arrestations puis à la traque de l’été 1944. À la Libération, elle était encore l’une des rares dames à siéger au comité départemental de libération nationale. Cette combattante exceptionnelle n’a jamais été interviewée de son vivant ! Elle est l’emblême de l’invisibilité des femmes dans l’historiographie**. Jusque dans les années 80-90, les femmes étaient la 5e roue du carrosse dans l’histoire de la Résistance. Heureusement, avec des collègues historiens, dont Françoise Thébaud (spécialiste de l’histoire des femmes), des travaux ont permis de les mettre en lumière.

Aujourd’hui, que reste-il du combat et des valeurs de ces femmes ?

Il en reste ce que l’on veut bien en faire. L’un des principaux héritages est ce travail d’historien que l’on a fait et que l’on doit continuer. Car on n’écrit jamais l’Histoire innocemment. L’engagement des femmes, la place qu’elles ont eu pendant la guerre mais surtout la façon dont on en parle fera la différence.

* Marguerite Gonnet : déterminée à sortir de l’ombre, paru dans la collection Parcours de Résistants, édité par le Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère.
** « L’objet de l’historiographie est d’explorer les conceptions de l’histoire, les pratiques et les manières de faire des historiens. »

Olivier Vallade
Historien, auteur et ingénieur au CNRS

« J’invite les gens à découvrir des publications autour des femmes martinéroises : Portraits de femmes dresse le parcours de 20 figures locales, de toutes origines et conditions confondues, dont Denise Meunier.
L’ouvrage Mémoires d’Espagne à Saint-Martin-d’Hères et Grenoble accorde également une place prépondérante aux femmes, dont celles de la famille Avilès, connues à Saint-Martin-d’Hères pour leur investissement dans l’association culturelle espagnole. »